Le partenariat entre association de patients et CRMR : un enjeu de démocratie sanitaire !

L’évolution progressive du partenariat de santé

La notion de partenariat de santé se fonde sur une évolution sociétale et éthique perceptible dès les années 1970 dans les pays industrialisés. En quelques décennies, les systèmes de santé en Europe et en Amérique du Nord ont passé du modèle paternaliste, qui prévalait au sortir de la 2nd Guerre Mondiale, à des modèles dans lesquels le ou le patient, en tant que personne, et surtout en tant qu’expert de sa propre situation, est pris en considération.

  • A l’origine de cette évolution le concept de « décision médicale partagée », en anglais medical shared decision-making (5),
  • L’apparition d’une approche biopsychosociale de la santé plutôt que celle purement biomédicale (1),
  • L’essor du partenariat de soins est aussi à mettre en parallèle avec celui de l’éducation thérapeutique des patients, qui figure dès 1998 en tant que concept de base dans le glossaire de l’OMS (2),
  • Simultanément, le concept de patient partenaire s’est imposé dans certaines politiques nationales de santé dès le début des années 2000, comme au Royaume-Uni dans le NHS (3). En 2010, la ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) a publié ses recommandations pour l’inclusions de représentants de patients dans les projets scientifiques (4).

En France, Il y a 20 ans, la loi du 04/03/2002 dite « loi Kouchner », à la suite de la pandémie du VIH, plaçait le patient comme « acteur du système de santé » avec comme objectif d’amorcer une nouvelle relation entre soignants et soignés (libre accès au dossier médical, siéger au sein de commissions d’usagers afin d’évaluer son système de santé…). Depuis, la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a reconnu, elle, l’union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé.

Cependant, si ces textes donnent un cadre législatif permettant de légitimer la place des patients dans la construction du système de santé, les associations de patients doivent à présent gagner en autonomie et donner aux patients davantage de place dans leur savoir expérientiel (expérience de la maladie et de ses traitements, des réalités liées à sa condition ou à sa situation psychosociale, de son expérience et de sa connaissance de sa trajectoire de soins et de services, ainsi que des répercussions de ses problèmes sur sa vie personnelle et celle de ses proches) et in fine leur capacité à définir et répondre aux besoins réels des populations, tout en s’émancipant du modèle médical paternaliste.

Le partenariat entre patients et professionnels de la santé, un « cadre de référence » développé au Québec

Synthèse des réflexions et expériences menées jusque-là dans le domaine du partenariat en santé, le Montreal Model voit le jour dans un article publié au début de 2015 par un groupe de chercheuses et chercheurs, tant patients que professionnels de la santé, sur la base de leurs travaux menés dès 2010 à l’Université de Montréal (5). Le Montreal Model est aujourd’hui considéré comme un texte fondateur, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

  • Ce texte représente l’évolution du rôle du patient, qui n’est plus comme avant-hier « objet » d’un système de soins paternaliste, ni comme hier « au centre » de ce système, bénéficiant de l’attention bienveillante des soignants qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour lui/elle. Le patient fait désormais partie de l’équipe soignante, laquelle collabore avec lui/elle, reconnaissant son savoir expérientiel (la vie avec la maladie) au même niveau que les savoirs scientifiques (la maladie) présents au sein de l’équipe ( Fig. 1).
  • Le partenariat entre patients et professionnels de la santé, également appelé partenariat de soins en français, patient partnership en anglais, vise à équilibrer le pouvoir entre « sachants », c’est-à-dire entre les professionnels qui « savent » ce qu’est la maladie, et les patients et/ou les proches qui « savent » ce que signifie vivre avec la maladie.
  • Une définition possible du partenariat de soins est celle figurant dans le « Cadre de référence de l’approche de partenariat entre les usagers, leurs proches et les acteurs en santé et en services sociaux » (6) :

« Le partenariat est une approche qui repose sur la relation entre les patients, leurs proches et les acteurs du système de santé (professionnels et institutions). Cette relation mise sur la complémentarité et le partage des savoirs respectifs, ainsi que sur la façon avec laquelle les divers partenaires travaillent ensemble. Plus précisément, la relation favorise le développement d’un lien de confiance, la reconnaissance de la valeur et de l’importance des savoirs de chacun, incluant le savoir expérientiel des usagers et de leurs proches, ainsi que la co-construction. Le partenariat peut s’exercer au niveau des soins, au niveau de l’organisation des soins et des services et également au niveau de la gouvernance. »

La mise en œuvre du partenariat de santé : l’approche dans notre CRMR

La maladie rare la plus fréquemment prise en charge dans notre CRMR « Maladies autoimmunes systémiques rares » est le Lupus Systémique (une maladie « rare » dont la prévalence moyenne est estimée à 0.9/2000, mais qui varie de 0.6/2000 en territoire nord-ouest métropolitain à 2.5/2000 dans les DOM-TOM (7)). Il en est de même pour le CRMR « Lupus Systémique & Syndrome des Antiphospholipides » de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). En effet, compte-tenu du caractère systémique et chronique de la maladie, le lupus nécessite un suivi intégré dans un centre expert.

Les CRMR de Strasbourg de de la Pitié entretiennent, depuis leur labellisation en 2006, une coopération étroite et régulière avec l’Association Française du Lupus et autres maladies autoimmunes (AFL+) -agrée pour représenter les usagers du système de santé- et sa Présidente Madame Marianne Rivière. L’AFL+, qui existe depuis 40 ans, compte 4000 adhérents (principalement des lupus et syndrome de chevauchement) ce qui représente 12% de la population atteinte résidant en France. De nombreux projets autour du lupus, ont été coconstruits (réseau national de centres experts, cohortes, évènementiel…).

  • L’approche par la recherche participative

Les établissements détenant un statut d’institut universitaire de première ligne en santé et en services sociaux jouent le rôle de chefs de file quant aux pratiques associées à ce secteur. Ils sont des lieux par excellence d’expérimentation, de développement des connaissances et des compétences sur les pratiques en première ligne et sur les approches intégrées en santé et en services sociaux. De ce fait, ils contribuent de manière importante et significative à l’atteinte des objectifs en matière de partenariat en recherche, et ce, tant sur le plan des services sociaux que sur celui des soins de santé.

A cet égard, la coopération entre l’AFL+ et les CRMRs Strasbourgeois et de La Pitié s’est particulièrement amplifiée pendant la pandémie de la COVID19 : en 2020, face à la pénurie de personnel soignant, aux difficultés d’approvisionnement de médicaments, au stress voire la dépression de certaines catégories de la population ou encore les inégalités sociales, une enquête nationale (France métropolitaine et DOM-TOM) a été co-construite et menée avec l’appui scientifique et méthodologique des CRMRs Strasbourgeois et de La Pitié et les moyens humains, financiers (FNDS : Fond National pour la Démocratie Sanitaire) et logistiques de l’AFL+. Les résultats ont été conjointement publiés en Open Access (accessible publiquement, sans frais d’abonnement) dans une revue scientifique à comité de lecture (8).

Cette première collaboration de recherche aboutie a motivé une nouvelle organisation des relations et à la mise en œuvre d’actions structurantes entre l’AFL+ et les CRMR Strasbourgeois et de La Pitié :

  • Le Chef de Projet du CRMR Strasbourgeois participe en tant que consultant à l’élaboration des projets en promotion AFL+
  • Des étudiants de DIU-FIEC de la Faculté de Médecine de Strasbourg sont accueillis en stage mixte AFL+/CRMR, sous la responsabilité pédagogique du CRMR
  • Avec la participation de HOMETRIX HEALTH (Startup eSanté), des projets innovants (eCohortes participatives patients & médecins par WebApp) destinés à générer de nouvelles connaissances, en vie réelle des patients participants (informations sur maladie et prise en charge, forum discussion patients, suivi activité maladie chronique, expertise d’usage des traitements…), sont en cours de développement.
  • Le CRMR de La Pitié – Salpêtrière a mis à disposition sa psychologue pour aider à améliorer les outils d’eSanté.
  • Cette nouvelle dimension de « partenariat recherche » entre les CRMR et l’AFL+ a ouvert la porte à d’autres projets collaboratifs d’envergure (ANR France-Liban, OPTIMISE, satisfaction des patients vis-à-vis de leur traitement, intelligence artificielle…).

Bibliographie

  1. L. Engel, The clinical application of the biopsychosocial model. Am J Psychiatry 137, 535-544 (1980); published online EpubMay (10.1176/ajp.137.5.535).
  2. World Health Organization, 1998. Health Promotion Glossary (No. WHO/HPR/HEP/98.1). Geneva.
  3. Stuart, Government wants patient partnership to be integral part of NHS. BMJ 319, 788 (1999); published online EpubSep 18 (10.1136/bmj.319.7212.788b).
  4. P. de Wit, S. E. Berlo, G. J. Aanerud, D. Aletaha, J. W. Bijlsma, L. Croucher, J. A. Da Silva, B. Glusing, L. Gossec, S. Hewlett, M. Jongkees, D. Magnusson, M. Scholte-Voshaar, P. Richards, C. Ziegler, T. A. Abma, European League Against Rheumatism recommendations for the inclusion of patient representatives in scientific projects. Ann Rheum Dis 70, 722-726 (2011); published online EpubMay (10.1136/ard.2010.135129).
  5. P. Pomey, L. Flora, P. Karazivan, V. Dumez, P. Lebel, M. C. Vanier, B. Debarges, N. Clavel, E. Jouet, [Not Available]. Sante Publique 1 Suppl, 41-50 (2015); published online EpubMar-Apr (
  6. Cadre de référence de l’approche de partenariat entre les usagers, leurs proches et les acteurs en santé et en services sociaux. Ministère de la santé et des services sociaux du Québec., (2018).
  7. Arnaud, J. P. Fagot, A. Mathian, M. Paita, A. Fagot-Campagna, Z. Amoura, Prevalence and incidence of systemic lupus erythematosus in France: a 2010 nation-wide population-based study. Autoimmunity reviews 13, 1082-1089 (2014); published online EpubNov (10.1016/j.autrev.2014.08.034).
  8. Scherlinger, N. Zein, J. E. Gottenberg, M. Riviere, J. F. Kleinmann, J. Sibilia, L. Arnaud, Difficulties and Psychological Impact of the SARS-CoV-2 Pandemic in Patients with Systemic Lupus Erythematosus: A Nationwide Patient Association Study. Healthcare (Basel) 10, (2022); published online EpubFeb 9 (10.3390/healthcare10020330).